(livre en chantier, Le Pays gris, p. 17)
Morgan, bibliothécaire en chef d’une bibliothèque universitaire, quitte son poste prestigieux dans une grande ville et rentre au pays, dans un petit village au bord de la mer, pour aider Maël, la vieille bibliothecaire du Fromveur, à la numérisation du fichier de la bibliothèque. Le retour au pays se passe sans heurt apparent, sinon dans l’esprit de Morgan. Mais les apparences sont peut-être trompeuses.
Cette impression est sans doute née de mon imagination, mais le jour du déménagement, j’avais l’impression que les Morrybans suivaient chacun de mes mouvements, tandis qu’un camion maladroit m’apportait quelques meubles. Je me sentais un peu fragile, comme à chaque fois que je viens d’abandonner un appartement. La désolation du vide, l’écho de mes pas claquant sur le plancher propre, tandis que je vérifie une dernière fois de n’avoir rien oublié, avant de refermer la porte pour toujours sur un pan de ma vie, comme sur un tombeau, tous ces gestes m’épuisaient davantage que le déménagement lui-même.
Partie à l’aube, habitée de l’impression désagréable de déserter un cadavre encore chaud, j’avais conduit avec obstination sur la route en lacets menant à Morryb. Ce n’est qu’en apercevant le phare, qui semblait m’attendre, que je me sentis ragaillardie. Bien que ne servant plus de repère aux navigateurs depuis longtemps, sa simple présence avait le don de rassurer les Morrybans, qui tiraient de sa vague présence sur la falaise, l’impression d’être protégés, symboliquement sans doute, mais d’être protégés tout de même, des tempêtes réelles et imaginaires s’abattant sur le pays. Et dès le moment où je le vis depuis la route, j’éprouvai le besoin de me placer sous sa protection.
Aussitôt arrivée, sans trop savoir pourquoi, je mis un T-shirt blanc encore humide, comme un signe de paix, sur le fil mal tendu entre un tuyau longeant le phare et la branche tordue du seul chêne sculptant la falaise à des kilomètres : faire sécher ses vêtements au vent, c’est déjà commencer à habiter quelque part, me disais-je, tout en observant le blanc du T-shirt se balancer dans l’air frais du matin. Comme si, tout à coup, il n’y avait rien de plus important au monde que ce mouvement et cette souplesse, ce balancement de la blancheur dans l’air frais de novembre, dont le rythme cadencé eut pour effet de faire disparaître l’urgence que je ressentais de ranger mes possessions. Puis je m’assis dans la berceuse de bois noir et regardai, apaisée, les cartons empilés sur les deux étages du phare, tandis qu’un sentiment d’ordre s’imposait dans mon esprit, alors que le trouble y avait régné, aussi loin que ma mémoire pouvait aller avec les mots. Dans ce cerveau où étaient arrivés avec les mots le trouble, les questions, les doutes, le phare semblait avoir calmé cet ébranlement de l’esprit dont je souffrais depuis trop longtemps. Je me sentais finalement chez moi. Enfin.
….Peut-être avais-je toujours attendu ce jour où je vivrais sur la certitude d’une falaise. Quand j’y pense.
@ Sylvie G
J’aime bien ce bout de texte… j’attends le suivant.
Bonne journée ! (ou soirée ?)
N’oubliez pas d’eteindre le phare quand vous sortez ….
Bien sur 🙂
Beautifully written, Sylvie
thank you Derrick
très beau billet….j’aime ce : faire sécher ses vêtements au vent, c’est déjà commencer à habiter quelque part.
Bonne journée
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Merci Georges 🙂
J’aime beaucoup, ce billet fait bizarrement écho à mon état d’esprit du moment, la transition vers autre chose mais quoi…
C’est toujours la question ! Merci de me rendre visite 🙂
être là où son T-shirt flotte au vent, géniale définition !
Merci Gilles
Je crois que vous avez bien saisi ces moments psychiques avec vos phrases vraiment poétiques….
Merci Cynthia
C’est joliment écrit. Et la certitude d’une falaise un bel oxymore.
Merci Aldoror 🙂
Cet extrait est comme le phare en lui-même, il attire et éblouit.
Merci Francis !