Impressions de lecture (8) Lionel Shriver

Lorsque je suis allée à la foire du livre d’occasion,  à Nelson, je n’avais aucun espoir de trouver un livre qui me plaise (en fait j’en ai trouvé une bonne dizaine, pour la modique somme de quinze dollars néo-zélandais). Lorsque je vais dans les foires, je ne me donne pas la peine de lire la quatrième de couverture. Je cherche surtout des auteurs dont j’ai entendu parler. Lionel Shriver est surtout connue pour son livre (suivi du film) Il faut qu’on parle de Kevin, un livre et un film que je ne voulais absolument pas lire ou aller voir car  le sujet (comment être le parent d’un enfant qui commet une tuerie) me dérangeait beaucoup trop. Mais j’ai trouvé Tout ça pour quoi ? du même auteur et je me suis dit que si je me trompais, ce ne serait pas une erreur dramatique (j’y ai d’ailleurs trouvé un livre de Richard Russo, un auteur recommandé par arlingwoman, que j’ai hâte de lire). La lecture du livre de l’Américaine a coïncidé avec un entretien qu’elle (oui, il s’agit d’une femme,qui  a changé son prénom, à l’âge de quinze ans) a accordé à la BBC lors du fameux festival de Hay, au Pays de aalles, un des endroits du monde que je rêve depuis longtemps de visiter un jour (des livres, des livres, des livres), à l’occasion de la publication de son plus récent livre. Celui que j’ai déniché à la foire a été publié en 2010.  Le départ de l’histoire n’est pas particulièrement attirant : un Américain, Shepp, qui a toujours rêvé d’une autre vie dans un pays où on peut vivre simplement avec quelques dollars par jour, après avoir réussi à amasser un petit pécule, se sent prêt à se lancer dans l’aventure. Le jour où il va annoncer à sa femme qu’il va partir avec ou sans elle, elle lui confie qu’elle vient de découvrir qu’elle a un cancer (provoqué par l’asbestos). C’est le début d’une aventure de radiothérapie, de chimiothérapie, mais surtout, pour Shriver, un prétexte pour critiquer abondamment le système de santé américain. Shepp, le mari de Glynis doit  renoncer à son rêve et continuer de faire un boulot qu’il déteste pour avoir droit à la précieuse assurance-santé de son employeur. On découvre cependant que l’assurance n’est pas aussi fiable qu’on le croit, car Shepp doit constamment gruger ses économies, qui fondent à vue d’œil, parce que les assurances ne paient pas ceci ou cela, ou paient seulement une partie des traitements fort coûteux auxquels Glynis, la femme de Shepp, se soumet, pour « vaincre » cette maladie. Shriver y traite également du problème complexe des relations entre époux  à un  moment difficile de leur vie en commun, mais aussi des relations de la malade avec les « amis » et sa famille, et le fait de manière convaincante. En lisant ce livre je me suis rappelé que lorsque je suis avec des amis américains, la conversation finit presque toujours par tourner autour de l’assurance-santé et cela indique sans doute qu’il s’agit d’une préoccupation constante lorsqu’on vit aux Etats-Unis. Shriver aurait pu se contenter de condamner « l’industrie de la santé », les méchants patrons et les méchants assureurs mais elle va au-delà et trace l’origine de ce système, qui est né lors de la Deuxième  Guerre Mondiale. Alors que les travailleurs étaient peu nombreux et que les salaires étaient réglementés, les employeurs qui désiraient attirer un employé offraient en prime une assurance-santé. A cette époque, cela ne signifiait pas grand-chose : les traitements étaient minimaux et on mourait jeune, ce qui est fort différent aujourd’hui.  Le   lecteur est certes  tenté  d’accuser le méchant employeur de tous les maux. Shriver nous en empêche en nous  servant un petit discours de l’employeur (par ailleurs pas du tout sympathique), qui nous fait voir qu’on ne peut s’attendre à ce qu’une petite entreprise puisse prendre en charge tous les frais médicaux des familles de tous les employés, surtout lorsque certains  membres de la famille  requièrent des soins particuliers et coûteux : cela  ne peut  que conduire l’entreprise à la faillite. L’employeur attire d’ailleurs l’attention de Shepp sur le fait que les traitements coûteux de sa femme ont fait augmenter les assurances de l’entreprise à un point tel qu’il est  maintenant forcé d’employer des travailleurs à contrat, ce qui lui permet de conserver une entreprise compétitive (on a envie de dire que ce n’est pas une raison, mais ne sommes-nous pas nous-même  coupables de tenter de trouver  la meilleure affaire, et souvent parce que nous n’avons pas les moyens de payer le gros prix).   Il y a  plusieurs niveaux de discussion, notamment la critique des assureurs eux-mêmes qui, nous dit Shriver, ont des employés dont le rôle consiste à trouver une façon de ne pas payer les traitements,  mais également celle de la médecine et des médecins, qui entretiennent parfois des espoirs irréalistes chez les patients désespérés. Shriver parle aussi d’argent, ce qui est rafraîchissant, d’une certaine façon, car on en parle rarement dans les romans (chacun des chapitres commence avec le montant d’argent que Shepp a en banque).  Pourtant on sait bien que l’argent n’est pas important pour autant qu’on en ait suffisamment. Lorsqu’on en manque, c’est une autre histoire. Vers la fin du livre (ne pas lire si vous voulez lire le livre), Shepp  demande au médecin de Glynis, un an après s’être lancé dans l’aventure des traitements censés sauver Glynis, qui ont coûté près de deux millions de dollars, combien de temps le médecin croit avoir ajouté  à la vie de sa femme : trois mois, répond-il laconiquement (d’où le titre).

 

On ferme le livre en se félicitant de vivre dans un pays où il y a un système de santé géré par l’Etat, mais ce soulagement ne dure pas très longtemps. Après avoir fini ce livre, je me suis dit que si je devais faire un long séjour à l’hôpital, ou que si je devais subir une chirurgie coûteuse, je serais rapidement ruinée, si je devais en assumer les coûts et cela serait sans doute le cas d’une grande partie de la population.  Il est donc ridicule de croire que l’Etat a les moyens de payer ces traitements, si les individus ne peuvent y arriver (puisque nous payons les impôts) et que nous vivons de plus en plus longtemps et courons le risque d’avoir besoin d’un traitement coûteux  à plus ou moins long terme. Et puis je me souviens soudainement de ces histoires d’horreur que je vois de plus en plus régulièrement dans les journaux, au sujet de ce charmant monsieur qui a travaillé toute sa vie et a toujours  payé ses impôts, qui a besoin d’une nouvelle hanche et attend depuis trois ans, à qui on donne de la morphine pour soulager ses douleurs, mais dont le cas n’est pas assez urgent pour qu’on s’en occupe. Ou bien on mentionne que ce nouveau médicament, qui pourrait allonger la vie de x ou y, n’est pas approuvé par le gouvernement alors que l’individu ne peut s’offrir ce traitement qui coûte des dizaines ou des centaines de milliers de dollars. Shriver nous fait prendre conscience que la médecine d’aujourd’hui est une bombe à retardement, qui attend tout simplement d’exploser. Un livre très intéressant, donc, qui m’a beaucoup fait réfléchir. On reproche d’ailleurs assez souvent à Shriver de trop de s’étendre sur le résultat de ses recherches dans ses livres. Moi, ce n’est pas vraiment la recherche qui m’a dérangée , car elle  m’a semblé efficace (d’ailleurs je me suis demandé souvent, en lisant le livre, ce qui était de la recherche et ce qui était vécu, ce qui est sans doute un bon signe), mais le côté répétitif, de certains passages. Shriver est plutôt philosophique  à  cet égard et dit que le lecteur n’a qu’à sauter les passages qu’il n’aime pas (c’est ce que j’ai fait) . Quant à moi, j’aurais souhaité que l’éditeur intervienne davantage pour amputer le livre de plus de cinq cent pages (qui se lit malgré tout facilement) d’environ cent cinquante pages. Shriver n’est pas une grande  styliste, mais ses dialogues sont très habiles et la lecture est agréable. Elle semble se concentrer sur des sujets qui causent la controverse. Le dernier de ces livres porte sur l’endettement (collectif et individuel) et l’héritage, et je lirai sans doute ce livre. Ses personnages masculins sont crédibles, sauf lorsqu’ils parlent de l’apparence vestimentaire des femmes, des descriptions qui me semblaient trop féminines. J’ai trouvé incroyable que Glynis parle à peine de ses enfants (ou pensent tout simplement à eux). Et puis la fin m’a semblé un peu trop hollywoodienne, mais en toute honnêteté, je ne sais trop quelle autre fin aurait pu être plausible*.

 

Sinon, en attendant que l’on trouve une solution au problème de la médecine moderne, je me contente de manger beaucoup de  légumes et de faire de l’exercice tous les jours, en espérant que cela suffira .

*Tout cela, bien sûr a changé depuis obamacare, mais seulement jusqu’à un certain point.

8 réflexions sur « Impressions de lecture (8) Lionel Shriver »

  1. What you describe is accurate. Everyone here is in constant fear of being financially ruined by illness–even if we have insurance! Obamacare has given more people access to insurance, but it hasn’t solved the underlying problems, and it has made things worse for some people. We need a state system.
    Ah, the pleasures of the second-hand book fair! Wonderful 🙂

    1. The state system seems to give us a false sense of security, because the State cannot afford to pay for expensive treatments anymore than individual can, I think. This is what I think will force us to think about health and illness in a different way (hopefully). I did not buy that many books at the book fair but will definitely spend more time next year 🙂

      1. Yes, there is a tradeoff of giving everyone access to a basic level of care, and being able to provide the most expensive treatments. Still I would rather have a system that sees basic health care as a human right.

      2. Definitely, it should be a human right, but it is just that I can see, in a country where we have a national health care, that the system is starting to have huger and huger cracks, that will not get any better, unless we change our way of looking at health .

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