Impressions de lecture : Annie Proulx

Annie Proulx est une auteure américaine de quatre-vingt-et-un ans qui a connu le succès grâce à Shipping News et Brokeback Mountain, deux livres qui sont devenus des films à succès. Shipping News est le premier livre que j’ai lu en anglais sans trop de difficulté et dont je me rappelle l’histoire sympathique et surtout la manière dont il a été présenté au cinéma, grâce au talent de Kevin Spacey et Julianna Moore. Barkskins a été publié l’année dernière et certains ont dit que c’était son meilleur livre. C’est sans aucun doute le plus long (736 pages). Je l’avais réservé à la bibliothèque l’année dernière avant mon départ en voyage, mais la liste  d’attente étant trop longue, je me suis dit que je le lirais au retour. Le livre était  sur les rayons en janvier, peut-être parce  que les sept cent trente-six  pages en  avait découragé plus d’un.

 

Ce livre raconte l’histoire de deux hommes,  René Sel et Charles Duquet, arrivés en Nouvelle-France en 1693. Ils  doivent travailler pendant trois ans pour un seigneur avant d’obtenir leur propre lopin de terre. Duquet s’enfuie, tandis que Sel reste et, pour faire plaisir au seigneur, il épouse sa concubine micmac (alors que le seigneur  va épouser une Française fraîchement arrivée au pays)  et produit une longue lignée de métis, alors que Duquet fonde une dynastie de propriétaires forestiers. Proulx suit leurs descendants pendant trois cents ans dans leurs déboires et leurs succès. C’est un livre qui plaira à  ceux que les débuts de la Nouvelle-France et de la Nouvelle-Angleterre intéressent ainsi que ceux qui ont un intérêt  l’environnement, car une bonne partie du livre évoque la déforestation (sauvage) des maritimes et  de la Nouvelle-Angleterre. D’ailleurs, plusieurs critiques voient ce thème comme le centre de cette « fiction ». En filigrane, on y retrouvera l’histoire des Premières Nations (ou quelque autre nom qu’on leur donne), la disparition de leur mode de vie,  le choc entre des cultures qui voyaient la nature de façon diamétralement opposée.

 

Je n’ai pas été surprise de lire que Proulx avait d’abord prévu d’écrire un livre didactique à ce sujet (pour lequel elle a fait de nombreuses recherches), et que ce n’est que vers la fin qu’elle a pris la décision d’en faire un roman. La « fictionalistion » de ses recherches reste  en effet assez souvent superficielle et   j’ai souvent eu l’impression qu’elle passait au travers de l’histoire des innombrables personnages (trop nombreux pour qu’on puisse tous se les rappeler) comme dans une sorte de  mauvais moment à passer, et cela, avant même que j’apprenne comment ce roman historique avait vu le jour.  J’avais le sentiment qu’elle racontait l’histoire comme un (pas toujours bon)  journaliste relate des faits divers (et pas toujours nécessairement dans le meilleur quotidien). J’ai également souvent  pensé aux  épisodes de Who do you think you are ? où les individus recherchant le passé de leurs ancêtres reconstruisent leur vie à partir d’articles de faits divers  trouvés dans les journaux ou documents officiels, etc. Elle  s’intéresse peu à la psychologie des personnages, ils viennent et disparaissent souvent assez rapidement, sauf pour quelques-uns d’entre eux qu’elle a creusés davantage. Si ce procédé permet d’une part d’évoquer  la fragilité de la vie, sa brièveté, sa disparition soudaine, comme cela était le cas à cette époque,  on se demande  en revanche ce que certains personnages qui disparaissent aussi vite qu’ils ont été mentionnés  apportent à la grande saga des Sel et des Duquet. On sent néanmoins sa réelle passion pour  l’environnement. Elle évoque les techniques de coupe, la dure vie de ceux dont c’était le métier de couper ces arbres de façon très convaincante. Il s’y trouve même un épisode sur la déforestation de la Nouvelle-Zélande (qui m’a semblé juste).  L’auteure, historienne de formation, n’a pas lésiné sur  les recherches (il lui a fallu dix ans pour écrire ce livre). Ce qui m’a le plus touché cependant est la manière dont elle évoque le  tourment des Premières Nations,  leur lent et inexorable déclin et quelquefois leur psyché.

 

Dans un entretien elle affirme écrire  dans un style traditionnel, mais cela ne me semble pas du tout le cas. Je dois d’ailleurs avouer  que c’est ce que j’ai le moins aimé dans ce roman. Il m’a fallu une bonne cinquantaine de pages pour me  faire à son écriture et même après sept cent trente-six pages, son style  n’a pas réussi à me séduire. D’autres critiques ont mentionné le manque de cohérence du style pour certains personnages qui parlaient parfois en « indien » et d’autres fois en anglais irréprochable, mais je ne l’ai pas noté ces différences, car j’étais souvent un peu perdue dans les complications des multiples personnages.

J’ai néanmoins lu (en sautant des passages) le livre avec intérêt en m’accrochant à certains thèmes qui me plaisaient davantage,   notamment  les Premières Nations, certains personnages, dont Lavina, certaines anecdotes et, de temps à autre, un examen un peu plus profond de la psyché des colons du Nouveau-Monde ou des Premières Nations.   Ce livre  ferait d’ailleurs  une belle mini-série (peut-être était-ce ce que Proulx avait à l’esprit en l’écrivant) et sera sans doute traduit en français très bientôt.

 

 

4 réflexions sur « Impressions de lecture : Annie Proulx »

  1. J’ai adoré son Birdcloud. Témoignage très émouvant dans un ou deux chapitres, sur sa généalogie, comment son père notamment, a tout fait pour effacer ses origines « canadiennes » françaises. Mais pas uniquement sur ce sujet. Un récit sur son propre cheminement, comme personne, à travers son projet de construction de sa maison.

    1. J’ai entendu parler de ce livre, le theme m’interesse puisque je travaille sur un roman sur l’identite et la langue, en ce moment, j’ajouterai donc ce titre a ma liste. Je croyais que ce livre parlait de son projet de maison. Merci Fernan

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