Patrick Evans est un auteur Néo-Zélandais, né en 1944, qui fut professeur de littérature
à l’université de Canterbury jusqu’en 2015, donc un collègue que j’ai croisé au travail (nous étions voisins de département) et côtoyé dans quelques soirées. Il est un spécialiste de Janet Frame (Owls do cry). Il a publié The Back of His Head, en 2015, au seuil de la retraite. Ce livre (son quatrième) ne sera sans doute pas traduit en français et s’adresse donc seulement à ceux qui sont relativement à l’aise en anglais. Il s’agit d’un roman qui aborde le thème de la dichotomie auteur/oeuvre. Le sujet est intéressant, car on évoque régulièrement comment la qualité de l’oeuvre est inversement proportionnelle au caractère de l’auteur (mais pas toujours) à la morale souvent douteuse, au caractère instable ou bizarre, provoquant des réactions de toutes sortes chez les lecteurs, qui refusent parfois de lire les histoires de quelqu’un qu’ils ne voudraient pas fréquenter. Et puis il y a les autres qui croient que c’est le prix à payer pour le talent ou le génie. Evans s’attaque donc à un sujet qu’il a sans doute souvent abordé dans ses cours de littérature et qui n’est certes pas nouveau. Il choisit de traiter ce thème à travers le personnage fictif de Raymond Lawrence, le premier Prix Nobel de littérature de Nouvelle-Zélande, maintenant décédé, alors que son fils adoptif, Peter Orr, une des maitresses du grand auteur et deux autres artistes sont les exécuteurs testamentaires chargés de préserver son héritage. Situer son personnage en Nouvelle-Zélande permet à Evans, dans le premier tiers du livre, de traiter de la difficulté d’être artiste dans une petite société. Il n’a pas tort. Il est vrai qu’à qualité égale, il est plus difficile d’être un Prix Nobel de littérature en Nouvelle-Zélande qu’en Grande-Bretagne ou en Italie. Les attentes sont plus élevées, et on a peut-être davantage tendance mettre l’artiste qui se prend peut-être un peu trop au sérieux, sur un piédestal. L’héritage d’un tel auteur est par ailleurs plus difficile à mettre en valeur et à préserver en raison de la distance et des moyens financiers. C’est ainsi qu’on apprend, lorsque les administrateurs de l’héritage de Lawrence doivent réparer le toit de la maison/musée, que le piano Steinway, qui se vendrait à l’encan autour de $250.000 en Europe ou en Amérique du Nord, ne pourra atteindre que $50.000 dollars dans cette partie du monde. Evans en profite également pour se moquer, avec son humour grinçant, des prétentions des exécuteurs testamentaires, qui tentent maladroitement de reproduire ce qui se fait ailleurs. Pour mieux comprendre cette première partie du livre, il faut peut-être se rappeler que Patrick Evans est un spécialiste de Janet Frame, une des meilleures romancières de Nouvelle-Zélande, et qu’il a eu affaire à l’auteure (qui ne l’aimait pas du tout) ainsi que ses exécuteurs testamentaires (qui ne l’aiment pas davantage, en partie en raison de la biographie non autorisée qu’Evans a publiée). L’amertume qui flotte entre les lignes de cette partie du livre vient peut-être surtout du fait que né de parents anglais vivant en Inde, arrivés en Nouvelle-Zélande lorsque Patrick avait cinq ans, Evans avoue lui-même qu’il fut longtemps un Néo-Zélandais récalcitrant, de là peut-être son humour caustique, qu’il exprime souvent à travers le personnage de Lawrence. Il n’est peut-être par ailleurs pas étonnant qu’il ait eu du mal à embrasser son identité néo-zélandaise, lors que l’on sait qu’Evans fut témoin, au début de sa carrière à l’université de Canterbury, d’un vif débat au sujet de la validité de l’enseignement de la littérature « locale », qu’on appelle encore parfois « postcoloniale » (oui, je sais, difficile à croire). C’est dans ce premier tiers que j’ai senti davantage la présence de l’individu que j’ai rencontré à quelques reprises, reconnu ici ou là un collègue ou un autre du département d’anglais, et un sens de l’humour grinçant, qui commençait à me lasser , moment où le récit trouve un nouveau souffle, et où l’on entre finalement dans le vif du sujet. L’énigme de Raymond Lawrence, le monstre, se résout peu à peu. Evans n’a pas fait les choses à moitié. La question de savoir quel crime le récipiendaire du Prix Nobel de littérature n’a pas commis domine plus souvent que l’inverse. L’être grossier méprise son lectorat, son fils adoptif et l’humanité en général. Atteint de la maladie de Parkinson, il continue de montrer son dédain pour la vie (surtout celle des autres) dans sa façon de mourir. Puis il devient de plus en plus évident que le grand maitre a plagié plus d’un auteur. Evans fait en sorte qu’on soit obligé de se poser la question : jusqu’à quel point peut-on pardonner à un être d’exception ? Les meilleurs passages se manifestent dans la voix de Peter Orr, son fils adoptif, qui l’admire mais ne peut s’empêcher de se poser des questions, auxquelles il n’a pas toujours le courage de répondre et l’on ne sait jamais de manière absolue ce qui est vrai et ce qui est le fruit de son imagination. Patrick Evans s’est inspiré d’Ernest Hemingway, de Lawrence Durrel et, en Nouvelle-Zélande, de Maurice Shadbot pour faire le portrait de ce « monstre » littéraire (moi j’ai surtout pensé à Picasso).
Cette partie du livre permet par ailleurs à Evans d’aborder des thèmes qui l’ont sans doute préoccupé pendant toute sa carrière d’écrivain et d’universitaire, notamment la frontière entre la réalité et la fiction ou la question de savoir si l’on peut vraiment enseigner comment devenir écrivain. La réponse de Raymond Lawrence est sans équivoque ! Qui parle, à ce moment, Lawrence ou Evans ? On peut se poser la question étant donné que la dernière restructuration de l’université de Canterbury a fait une très large place à la création littéraire (comment écrire un scénario, une pièce de théâtre, des contes pour enfant), parce qu’ils attirent plus d’étudiants (même si bien sûr on ne l’avouerait jamais), alors que les classiques ont de moins en moins droit de mention. Shakespeare, par exemple, n’a même plus droit à un cours entier dans cette université.
Le livre est bien écrit, les dialogues bien menés (son expérience en théâtre le sert bien, il a plusieurs pièces à son actif) et l’on sent l’ombre de Janet Frame planer sur de nombreux passages. J’ai moins aimé la voix de l’étudiant (un peu trop de « you know what I mean »). La plus grande faiblesse du livre se trouve dans les deux premières pages, me semble-t-il, le moment qu’il choisit pour nous présenter un extrait du livre du Prix Nobel de littérature de Lawrence: d’un ennui total et profond. J’ai du mal à croire qu’il s’agit la conception d’Evans de ce qu’est une littérature digne d’un Prix Nobel. Finalement, son humour caustique, décapant, grinçant, est quelquefois limite. Mais il s’agit probablement d’un livre qui mériterait probablement de dépasser les frontières de la Nouvelle-Zélande, ce qui risque pourtant de ne jamais se produire.
Sylvie, pourrais-tu me conseiller un titre de Janet Frame. Merci !
Pour moi, c’est Les hiboux pleurent vraiment (Owls do cry)
Merci !