L’histoire débute par la description d’une écrivaine connue, Delphine de Vigan, qui après avoir obtenu beaucoup de succès à la suite de la publication d’un livre parlant de la maladie mentale de sa mère (Rien ne s’oppose à la nuit) se trouve fragilisée, en panne d’inspiration. C’est à ce moment que L., qui se veut son amie, s’insinue dans sa vie et s’en empare. A l’achat du livre, j’étais convaincue qu’il s’agissait d’une autofiction, mais après avoir lu quelques pages, je me suis rendu compte que le thème était un peu plus complexe qu’il n’y paraissait.
Ainsi que l’a fameusement dit Coetzee (que je paraphrase), écrire sur soi c’est faire de la fiction, et lorsqu’on écrit de la fiction on ne parle que de soi. Cette affirmation n’est pas nouvelle, mais semble de plus en plus pertinente à notre époque où le monde virtuel s’insinue dans la vie de chacun et qu’on est libre de s’inventer tel qu’on le désire, alors que les téléréalités n’hésitent pas à dramatiser la réalité pour mousser leur succès. Je ne suis pas le moins du monde surprise que ce livre ait reçu le Prix des Lycéens, alors que les jeunes naviguent dans ces frontières troubles depuis leur naissance.
C’était le premier livre de cette auteure que je lisais, mais j’avais vu un film tiré d’un de ces livres au Festival du film de Christchurch, il y a quelques années : You Will Be My Son (un film qui m’avait profondément troublée), sans savoir qu’il s’agissait d’un scénario tiré du livre de de Vigan.
Son livre précédent, Rien ne s’oppose à la nuit, a eu beaucoup de succès et ce que j’en sais vient en grande partie du livre D’après une histoire vraie qui contient de nombreuses références à son succès, aux réactions auxquelles il a donné lieu (des lettres anonymes, entre autres choses), ou à la question de savoir ce qu’on peut faire après avoir écrit un livre sur soi ou sur sa famille, ou celle de savoir comment on vit le succès. C’est sans doute ce qui fait qu’on croit souvent avoir affaire à une autofiction, à peine déguisée. Il semble donc qu’en insérant de nombreux éléments de sa propre vie dans la narration, le livre pose de manière crédible la question qu’il a l’intention de poser. Par ailleurs, le personnage de L., ainsi que l’a dit de Vigan dans un entretien, existe sous une forme ou une autre quelque part, et est donc également crédible. On a tous connu à divers degrés un de ces êtres qui semblent ressentir le besoin de s’emparer de la vie des autres, soit parce que la leur ne semble pas les satisfaire, soit que la vie qu’ils ont ne leur semble tout simplement pas suffisante.
Le livre aborde également le processus de création, la source de l’inspiration, le succès et comment il est vécu. Tout cela est intéressant et je n’ai pas boudé mon plaisir. L’auteur a peut-être fait cela pour donner satisfaction au lectorat, toujours curieux d’en savoir le plus possible sur les auteurs de leurs histoires ou récits préférés.
C’est peut-être également le désir de rendre L. crédible, qui a poussé de Vigan à insérer de nombreux passages où elle décrit méthodiquement soit l’apparence de L. soit son comportement. Ces passages détaillés sont convaincants lorsqu’il s’agit de rendre L. véridique, mais ils ne semblent rien apporter au livre. S’il s’agissait d’une technique délibérée, elle ne m’a pas convaincue, qu’il s’agisse du passage dans le métro, où L. s’en prend à un homme qu’elle pousse hors du wagon, ou bien celui où L. , après avoir emménagé chez Delphine, entre dans une rage folle parce que le mixer ne fonctionne pas. On ne doute pas que de Vigan ait été témoin de telles scènes, mais elles ne semblent remplir aucune fonction dans l’histoire et diluent le contenu plutôt qu’elles n’y ajoutent.
Par ailleurs, je n’ai pas été séduite par le style de de Vigan et c’est peut-être la plus grande déception du livre (pour moi). Je n’ai rien contre la simplicité du style, au contraire, ni même son austérité (celui de Coetzee, par exemple), mais dans le cas de de Vigan, il me semble tout simplement qu’il n’y a pas eu suffisamment de relecture du manuscrit.
Finalement, j’aurais voulu y sentir un peu plus la présence de la narratrice, qui semble faire un effort herculéen pour disparaître dans ce qui ressemble parfois à un compte rendu, qu’elle semble vouloir objectif. Il me semble qu’en faisant cela, un élément important de la réflexion sur la question de la frontière entre la réalité et la fiction s’est perdu et cela m’a laissé un peu sur ma faim. Pas suffisamment, cependant, pour avoir regretté d’avoir passé quelques heures sur un livre, qui est resté dans mes pensées après que j’ai lu la dernière page, ce qui est toujours un très bon signe.