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nenufars et ognons

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Je n’avais pas prévu de rédiger un billet sur la rectification de l’orthographe, mais comme la gentille   jetgirlcos  m’a  demandé ce que j’en pensais et que je ne pouvais pas répondre dans la petite boîte de commentaires, voici un billet sur le sujet. Je n’ai fait aucune recherche approfondie, il s’agit donc de réflexions spontanées. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de mentionner combien ce sujet fait rire  mes amis de langue anglaise. Ce n’est pas tant la rectification comme telle qui déclenche l’hilarité de mes collègues, mais bien le débat l’entourant, la passion que nous y mettons. Mes collègues linguistes de langue anglaise ne manquent d’ailleurs pas de mentionner régulièrement avec perplexité l’émotion que suscitent les discussions autour de la langue chez les locuteurs du français, qu’il s’agisse d’orthographe ou d’emprunts. C’est que l’on inculque assez tôt  chez les locuteurs du français cet amour, ce respect, parfois cette crainte de la langue, la plupart du temps pour le meilleur et parfois  pour le pire.

En ce qui concerne la soi-disant réforme de l’orthographe, il faut d’abord souligner qu’il s’agit d’une simple rectification d’anomalies dans l’orthographe du  français. Du point de vue linguistique,  la nécessité d’une  telle rectification à intervalle plus ou moins réguliers  devrait aller  de soi, car langue parlée et langue écrite se situent  à des pôles opposées. La langue parlée tend vers le changement et la spontanéité, tandis que l’écriture  tente de   figer la langue dans la permanence. Il semble donc  normal, pour éviter de creuser l’écart entre ces deux pôles,  de tenter de rapprocher   les caprices de l’évolution phonétique et la rigidité du  système graphique la représentant de temps en temps.

 

Dans le cas de la plus récente rectification de l’orthographe,  il y aura toujours ceux qui croient que la réforme ne va pas  assez loin, ceux qui affirment qu’on a fait trop peu, et d’autres qui auraient voulu qu’on fasse les choses autrement.  L’unanimité est tout simplement impossible dans ce domaine.  Pourquoi ?  Parce que la langue n’est pas,  contrairement à ce que certains affirment, seulement un système de communication. Elle est chargée de connotations  sociales et affectives, que l’on ne perçoit pas toujours consciemment. Les raisons pas toujours  rationnelles que l’on donne pour justifier les décisions prises concernant la rectification de l’orthographe indiquent surtout, je crois, à quel point les responsables de la réforme sont conscients de  marcher sur des œufs et savent que quelle que soit la décision prise, on les critiquera. On parle beaucoup, par exemple, des accents circonflexes : certains disparaissent, d’autres restent pour, affirme-t-on, éviter la confusion entre des mots tels que  mur et mûr. Pourtant, il n’y a pas d’accent circonflexe à l’oral et l’on confond rarement ces deux mots car le contexte permet de désambiguïser la signification dans la plupart des cas :  le raisin est mûr, il a sauté le mur, ne créent aucune confusion. Si  l’on avait cependant  pris la décision plus tranchée  de se débarrasser de tous les accents circonflexes, on aurait sans doute assisté à un tollé de protestations violentes, d’où, je crois, la prudence extrême des responsables. Qu’il ait fallu plus de vingt ans pour mettre cette rectification en pratique illustre également à quel point le sujet est sensible.

 

Je suis moi-même entrée en orthographe, un peu comme on entre en religion,  en apprenant facilement et avec plaisir le latin,  les détours de  l’orthographe et des règles de grammaire, mais j’accepte de bon gré les changements. Je me rends  très bien compte que pour ceux qui ont peine à apprendre ces règles arbitraires, la langue devient un objet de misère, de honte, et parfois de haine aussi. Cela est-il bien nécessaire ? Au fil des ans, j’ai eu des étudiants qui ont appris l’orthographe française sans aucune difficulté et d’autres qui éprouvaient de la difficulté.  Faut-il les condamner pour autant ?

 

Les enseignants  risquent de faire  les frais des changements et l’on peut comprendre qu’ils voient cette réforme comme un fardeau supplémentaire ajouté à leur tâche déjà trop lourde, j’en suis convaincue. C’est surtout vers eux que va ma sympathie.  La coexistence de deux orthographes n’est sans doute pas idéale, tandis que certains appliqueront la réforme a la lettre, certains  l’appliqueront de temps en temps ou en partie et d’autres  ne feront rien du tout.

 

La non-linguiste que je suis aussi à mes heures n’aime cependant  pas le mot « ognon ». Je lui  préfère l’incohérence de l’oignon.  L’oignon, c’est mon enfance, le lien avec le passé, l’histoire de la langue, son évolution, le plaisir (un peu simple, je l’avoue) que j’avais parfois à prononcer le mot phonétiquement « wagnon » pour me moquer de l’incohérence orthographique. J’aime la « vieille » orthographe, comme j’aime mes vieilles chaussures.   Dois-je pour cela l’imposer au petit garçon qui apprend à lire et à écrire ? Je ne crois pas. Je vais me mêler de mes o(i)gnons et laisser à la jeune génération le soin de s’amuser avec la langue autrement. Je lui demande en retour, de me laisser vivre avec mes mots, ceux qui m’ont vu grandir, et me donnent encore aujourd’hui beaucoup de plaisir.

 

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