J’ai lu, il y a bien longtemps, Le Monde selon Garp, le livre de John Irving qui a marqué son arrivée sur la scène des écrivains connus et populaires des Etats-Unis. J’avais lu ce livre avec un certain intérêt, à une époque où je lisais seulement de la poésie et je me souviens surtout que les scènes cocasses et abracadabrantes m’avaient plu. On parlait beaucoup de la nouvelle à propos de l’ours, qui était insérée dans le roman et qui avait plu à beaucoup de monde (mais pas à moi).
Une Veuve de papier (A Widow For One Year), du même auteur, est considéré comme l’un de ses meilleurs livres ou, du moins, l’un des plus populaires. Je l’ai acheté à la foire du livre de Nelson, en me disant, encore une fois, que je ne courais pas un très grand risque si le livre ne me plaisait pas.
C’est l’histoire de Marion, mais je pourrais dire aussi que c’est l’histoire de Ruth, la fille de Marion, d’Eddie, le jeune amant de Marion qui la rencontre alors qu’il a seize ans et qu’elle en a trente-neuf, ou bien l’histoire du mari de Marion, Ted, un écrivain qui écrit des livres pour enfants et a officiellement recruté les services d’Eddie, un adolescent de seize ans pendant les vacances. En réalité Ted veut qu’Eddie devienne l’amant de sa femme afin d’augmenter ses chances d’obtenir la garde de sa fille Ruth alors qu’il est sur le point de demander le divorce. Planification inutile, puisque Marion a déjà pris la décision de quitter son mari, à la fin de l’été, après avoir fait l’amour soixante fois avec Eddie, qui est éperdument amoureux de Marion.
Tout ce petit monde est ou devient écrivain. Ted, le plus connu et le mieux nanti de tous, écrit des livres pour enfants mais ne se dit pas écrivain. Il se voit comme quelqu’un qui divertit les enfants. Ce qu’il préfère, par-dessus tout, c’est séduire les mamans des enfants qui lisent ses livres, et les dessiner (les mères) dans des poses plus ou moins pornographiques. Marion, accablée par le deuil de ses deux fils, morts à l’adolescence dans un accident de voiture, quittera à la fin de l’été son mari et sa fille Ruth, qu’elle se sent incapable d’aimer. Elle ira au Canada et gagnera sa vie en écrivant des romans policiers qui se vendent bien mais qui n’ont pas de grandes qualités littéraires. Eddie, l’amant de Marion, deviendra également écrivain et connaîtra un certain succès. Il ne se considère pas comme un grand écrivain, il est surtout content de pouvoir plus ou moins gagner sa vie en écrivant. Ruth, la fille de Ted et de Marion, est de loin celle qui se rapproche le plus de l’écrivain avec un E majuscule. Elle est connue, on l’invite à des rencontres d’écrivains aux Etats-Unis et en Europe. Elle souffre en permanence d’avoir été abandonnée par sa mère.
Ces personnages donnent l’occasion à John Irving de parler de ce qu’il connaît sans doute le mieux : la littérature, le monde des écrivains et de l’édition, et il ne s’en prive pas. Il discute, bien sûr, à plusieurs reprises, de l’éternel opposition entre l’écrivain qui invente et celui qui parle de lui-même, pour savoir, lequel des deux est le véritable créateur. Un faux débat, à mon avis, car même celui qui écrit de la science-fiction, des romans policiers ou des contes de fée, écrit toujours, qu’il le veuille ou non, à propos de lui-même et même s’il le fait de façon détournée. Alors que celui qui écrit sa biographie et tente de rester toujours près de la vérité se fera toujours reprocher d’avoir embelli les choses ou d’avoir menti. Un débat inutile, donc, mais qui continue de nourrir le monde littéraire. Irving évoque les rencontres littéraires, que Ruth/Irving déteste : on n’y pose aucune question intéressante, semble-t-il. Quant aux séances de signatures, Ruth/Irving les évite, parce qu’elle n’a rien à dire à ses admirateurs qu’elle ne connaît pas.
Quarante ans après avoir disparu sans laisser de traces, Marion revient vers Eddie et Ruth : elle ne voulait pas imposer son deuil à sa fille ou à Eddie. On sent le poids du deuil (dont Cynthia Jobin sait si bien parer ) sur le roman, qui est traité à quelques reprises, mais sans profondeur.
A la fin du livre, Ruth trouve une certaine paix (après la mort de son mari) avec un policier néerlandais avide de lecture, Eddie retrouve Marion, et la plupart des personnages ont plus ou moins apprivoisé leurs démons.
Ce livre est très John Irving, et très Nouvelle-Angleterre (une partie des Etats-Unis pour laquelle j’ai beaucoup d’affection). Il raconte de manière efficace, il est souvent drôle, mais il n’arrive pas à me toucher profondément. Je n’aime pas beaucoup la façon qu’il a d’insérer de petites nouvelles dans son roman, qui distraient sans rien ajouter. Bien souvent, d’ailleurs, ces histoires finissent par trouver une autre vie après (ou avant, je ne suis pas certaine) la publication du roman (l’histoire de l’ours, dans Le Monde selon Garp, l’histoire pour enfants dans Une Veuve de papier, etc.). Ce n’est pas que je trouve quoi que ce soit de très négatif à dire sur ce livre, sinon que je n’ai pas réussi à l’aimer vraiment et je ne crois pas que j’en lise un autre bientôt. John Irving est l’un des premiers écrivains (je crois) relativement importants à être issu des cours de création littéraire. Je remarque depuis quelque temps que j’aime moins le style que ces cours semblent développer et que je préfère habituellement les autodidactes de l’écriture, qui apprennent en écrivant et en lisant. Il s’agit d’une tendance récente, et je n’ai pas encore lu beaucoup d’auteurs qui se sont développés ainsi et il est peut-être trop tôt pour généraliser.
I haven’t read Garp, but I did enjoy A Widow For One Year. This is a good analysis
he certainly has some haunting themes
I’ve always liked Irving. I read Garp years ago, as you did, and many of his other works, including some early novels, but not this one. It sounds intriguing.
He definitely has some haunting themes
Especially in the early works, I noticed that he keeps coming back to wrestling, nurses, and bears 🙂
I have read Garp and Cider House Rules, but not Widow. I may need to read that one now, based on your analysis…
I saw the film, which I really liked, I must say
A mon avis, vous avez très bien mis le doigt dessus.:-)
Je n’ai lu qu’un seul de ses romans, “In One Person”, qui traite de la bisexualité, et j’ai beaucoup aimé son approche du sujet, et surtout son style, qui m’a paru riche comparé à ce que d’autres auteurs américains peuvent produire. Le monde selon Garp est sur ma liste…
Quant à ” Un faux débat, à mon avis, car même celui qui écrit de la science-fiction, des romans policiers ou des contes de fée, écrit toujours, qu’il le veuille ou non, à propos de lui-même et même s’il le fait de façon détournée. Alors que celui qui écrit sa biographie et tente de rester toujours près de la vérité se fera toujours reprocher d’avoir embelli les choses ou d’avoir menti”
Je suis tout à fait d’accord.
Elizabeth Gilbert a elle même reconnu qu’il y avait plus d’elle dans ses romans, où elle s’investit dans ses personnages, que dans ses livres autobiographiques, où elle doit faire attention à chaque mot qu’elle emploie pour ne blesser personne, et de ce fait ne raconte pas tout car tout n’est pas racontable.
J’ aime bien ce qu’Elizabeth Gilbert dit 🙂